samedi 3 mars 2007

Guinée, de grands défis en perspective

Enfin la Guinée semble retrouver la voie de la stabilité et ses citoyens la sérénité, après une crise politico-sociale qui a paralysé le pays pendant plus d'un mois. La Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest a réussi à dénouer la crise. La médiation menée par la CEDEAO a permis la nomination d'un premier ministre de consensus pour diriger le gouvernement. A défaut d'obtenir le départ du Général Conté, les Guinéens peuvent se féliciter et être fiers d'avoir réussi à faire reculer ce régime autoritaire qui a fini d'enfoncer le pays dans le gouffre. Mais, il convient de rester vigilant. Le nouveau Premier Ministre dont la compétence et les qualités sont saluées par tout le monde ne doit pas perdre de vue les nombreux défis qui l'attendent. Sa mission sera de servir la Guinée et les Guinéens, pas de servir le Général Conté et sa cour.

Pour changer la Guinée, il ne suffira pas de faire quelques "réformes cosmétiques" sur le plan institutionnel. Après tous les ravages causés par le régime tyrannique de Sékou Touré et la corruption des mœurs politiques et sociales par le pouvoir autoritaire qui lui a succédé, il ne sera pas facile de changer les habitudes, mais le salut passera par une véritable "révolution tranquille". Ce n'est pas une tâche facile et cela ne doit pas et ne peut pas être l' oeuvre d'un seul homme. Les citoyens guinéens attendent beaucoup du nouveau premier ministre. Alors, il faudrait être clair dès le départ. Quelles que soient ses compétences, sa volonté, sa détermination et son ambition, M. Lansana Kouyaté ne pourra pas faire grand chose, si le peuple guinéen ne se mobilise pas pour l'aider à tous les niveaux. Les doléances sont nombreuses: si la ménagère de Conakry espère voir les prix du pain, du riz et du savon baisser, si les paysans de la Forêt ou de la Haute Guinée attendent une véritable politique agricole, nos parents du Fouta attendent également du gouvernement qu'il construise davantage d'infrastructures: des hôpitaux pour soigner les malades, des écoles pour éduquer les enfants, des routes pour faciliter le transport etc. Mais tout cela ne sera possible que si le premier ministre parvient à former un gouvernement composé d'hommes et de femmes compétent(e)s, des guinéens qui sont choisis non parce qu'ils appartiennent à tel ou tel clan politique ou ethnique, à tel ou tel groupe d'intérêts. Voici quelques uns des grands défis qui attendent le gouvernement de Monsieur Kouyaté et ceux qui vont lui succéder:

1. Restaurer l' éthique et la morale comme des valeurs fondamentales dans la fonction publique et dans la société globale. Les fonctionnaires de l'Etat doivent être au service du peuple. Il ne doit plus être permis qu'un fonctionnaire de l'Etat monnaye les services rendus au citoyens. Pour lutter contre la corruption, il ne suffit pas d'adopter des lois non applicables. Il convient d'agir en amont, sensibiliser et éduquer les citoyens, les fonctionnaires, en premier. L'administration publique et ses agents ne doivent plus inspirer peur, méfiance ou suspicion au peuple. L'Etat doit se doter des moyens de former ses agents et d'en faire des citoyens modèles et responsable et non les fossoyeurs de l'économie nationale et des efforts de développement entrepris par la population. Ce n'est pas une tâche facile et ce n'est pas un travail à réaliser en 100 jours, ou en deux ans, voire même en 5 ans. Cela prendra peut être dix ans sinon plus, mais le nouveau gouvernement doit s'y atteler dès le début pour baliser le terrain et créer une véritable dynamique de changement de mentalité chez les fonctionnaires...

2. Combattre la corruption et les réseaux affairistes liés au pouvoir et instaurer la transparence comme mode de gouvernement. La réforme du système judiciaire, ainsi que celle du Secteur de la Sécurité (Police, Armée etc.) doivent être des priorités. Dans une république démocratique, le militaire doit se soumettre et obéir au pouvoir civil et non le contraire. Le rôle du militaire c'est de protéger et sécuriser les citoyens et leurs biens, mais pas de les tuer ou de les brutaliser...

3. S'atteler à la préparation d'élections régulières et transparentes, pour empêcher le pays de tomber dans le piège d'une transition mal organisée qui risque de durer plusieurs années. Il faut tirer les leçons des expériences malheureuses des autres pays qui ont dû passer par la guerre civile pour se débarrasser des régimes autoritaires et corrompus. Les cas de la RDC et du Liberia suffisent comme exemples.

Pour ce faire, il convient de moderniser l'Etat civile. Jusqu'à présent certains enfants naissent en Guinée et y grandissent jusqu'à l'âge d'aller à l'école sans avoir de pièce d'identité. La carte nationale d'identité et les actes de naissance qui sont utilisés sont très mal faits. Les renseignements qui y sont fournis sont parfois approximatifs et certains ne sont souvent d'aucune utilité. Il faut absolument revoir ce travail d'amateur. A l'heure d' internet, il faudrait envisager l'informatisation de ces documents. Cela faciliterait le travail, la conservation des archives. En outre, il convient de faire un véritable recensement général de la population et d'établir des listes électorales exhaustives et fiables avant d'organiser un quelconque scrutin...Il s'agit donc d'inventer l'Etat, là où il n'existe pas, et de le renforcer lorsqu'il est fragile.

4. Il ne s'agit pas seulement d'attendre du gouvernement la baisse du prix des denrées de première nécessité: riz, électricité, carburant, etc. Le meilleur moyen de baisser le coût de la vie, c'est d'élaborer une véritable politique de développement économique, sortir de l'économie de rente et de survie basée sur l'exploitation des ressources naturelles et les cultures vivrières. Aujourd'hui la situation économique du pays est désastreuse. Comble de paradoxe, dans ce pays considéré comme le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, il y a de l’eau presque partout sauf dans les robinets. Quant à l’électricité, ça a toujours été un luxe même dans la capitale, Conakry. Le chômage est le lot quotidien des jeunes qui rêvent tous de partir ailleurs.

Dès lors, il est important de dégager les grandes priorités à court, à moyen et à long terme. Par exemple, il est temps de réfléchir à une véritable politique de l'éducation nationale, réformer le système éducatif et l'adapter aux besoins du pays. Une politique agricole et du développement rural est également nécessaire. Avec le développement des grands centres urbains et l'exode rural, une politique d'urbanisation et d'aménagement du territoire doit être élaborée et mise en oeuvre pour éviter le développement anarchique des villes comme c'est le cas aujourd'hui, notamment à Conakry.

Les infrastructures routières doivent être l'une des principales priorités à moyen terme. La Guinée est aujourd'hui l'un des pays les plus enclavés en Afrique de l'Ouest. L'Etat doit concentrer ses efforts sur ce plan pour faciliter le déplacement entre les villes et villages de l'intérieur du pays mais aussi relier le pays à ses voisins avec lesquels il a des échanges importants. Le téléphone et l'électricité ne doivent plus être considérés comme des luxes ou des privilèges réservés à quelques citadins fortunés.

Si cela s'avère nécessaire, il faut vendre toute la bauxite du pays pour construire des écoles et des université d'excellence, des hôpitaux, des routes, des barrages hydro-électriques. Il est possible de changer la Guinée. Cela prendra probablement 25 ans mais c'est possible. Pour ce faire, il faudrait juste un peu de volonté, mas surtout beaucoup de courage, comme en ont fait preuve les syndicalites au cours des dernières semaines. Il faudra également une vision politique claire déclinée en programme et plans d'actions précis avec un timing. Toutefois, il faut garder à l'esprit que l'on ne peut pas faire du neuf avec du vieux. Autrement dit, les fossoyeurs de l'économie guinéenne sous les régimes successifs de Sékou Touré et Lansana Conté ne peuvent pas être les porteurs du changement auquel aspirent toute la population guinéenne. Qu'ils soient restés tout le temps dans le pays ou qu'ils se soient exilés après leur disgrâce, ces fossoyeurs sont bien connus. Nous osons espérer que le peuple guinéen qui s'est fortement mobilisé pour exiger le changement ne les laissera pas confisquer, encore une fois, le pouvoir ou prendre en otage ceux qui seront aux affaires dans les futurs gouvernements.

De l'intelligence et du courage politique avec lesquels Monsieur Kouyaté formera et dirigera son gouvernement, dépendra la suite de cette nouvelle page de l'histoire politique de la Guinée qui s'ouvre douloureusement sous la résistance d'un passé qui ne veut pas assumer qu'il a fait son temps, mais il ne faut jamais désespérer que les forces de progrès finiront par triompher. Il faut donc souhaiter bonne chance au nouveau Premier Ministre et à son équipe et espérer qu'ils ne vont pas reproduire les mêmes erreurs !

A. Ben-Ousmane DIALLO
Politologue, spécialiste des Affaires internationales



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà à quoi je m'attendais en te demandant de tourner ton regard sur la Guinée, je ne suis pas surprise en te lisant. Tu as su exactement traduire mes pensées sur la situation critique du pays. Aujourd'hui, nous nous réjouissons aussi bien que tous les Guinéens des résultats de cette crise. Seulement le nouveau premier ministre a du boulot sur la planche. S'il parvient à mener à bien sa mission, nous pourrons pousser un grand ouf de soulagement vers un réveil de la Guinée qui se trouve dans une léthargie maladive de sous-développement.
Bravo et à Bientôt !
Aminata

Anonyme a dit…

J'ai suivi cette crise tous les jours en priant que ce dictateur abandonne. Je pense que ce recul de Conte n'est qu'une bombe a retardement (J'espere me tromper). Il reste toujours chef et le Premier Ministre ne pourra rien faire si Conte ne les laisse pas travailler.
J'ai souhaite que la lutte continue jusqu'a ce que Conte demissionne. On me dira c'est parce que je ne suis pas en Guinee. mais une chose est sure c'est qu'on ne peut pas changer les fruits si les racines restent les memes. Conte et son entourage constituent un cancer pour la Guinee. Il faut qu'il quitte pour que la Guinee evolue.
Combien de savants guineens sont 'exiles' a travers le monde. Allez dans beaucoup de pays et voyez ce que les guineens d'origine ont, leurs possibilites.
Je prie que Dieu debarrase la Guinee de ce dictateur.
Je salue ton analyse de la situation et tes suggestions. Que Dieu t'assiste dans cette mission.

Bonne continuation.

M.A. Diallo (India)