vendredi 25 juin 2010

Lueurs d'espoir en Guinée ?


Dimanche 27 juin 2010, les Guinéens ont un nouveau rendez-vous important avec l'Histoire. En effet, un peu plus de 4 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour élire un nouveau Président de la République au cours de la première élection libre et démocratique de l'Histoire du pays. Vingt quatre candidats, parmi lesquels quatre anciens Premiers Ministres, sont en lice. La campagne électorale qui vient de s'achever a été plutôt paisible, bien qu'il y ait eu quelques affrontements entre supporters de camps opposés, et quelques morts déplorées, qui sont pour la plupart causées par des accidents de la circulation. Il y a 8 mois, personne n'aurait cru le pays capable d'un tel sursaut, après la barbarie perpétrée le 28 Septembre au Stade du même nom à Conakry, sous l'instruction de l'ex-chef de la junte militaire au pouvoir, le Capitaine Moussa Dadis Camara. Les cyniques voyaient le pays plonger dans l'anarchie de la guerre civile, tandis que d'autres appelaient la Communauté internationale à envoyer une force d'interposition pour prévenir le pire scénario envisagé. Finalement le règlement de comptes entre le Capitaine Camara et son aide de camp, Aboubacar Toumba Diakité, aura sauvé le pays de la guerre civile qui était perçue comme imminente. Grâce à l'intervention de la France et des États-Unis, il faut le souligner, un certain Général timide, Sékouba Konaté, décida de prendre ses responsabilités, pour sortir le pays de la crise, en envoyant le Capitaine Camara "en convalescence" au Burkina Faso, un exil forcé en fait, mais aussi et surtout en décidant d'organiser les premières élections présidentielles démocratiques de l'Histoire du pays. Il redonna ainsi une lueur d'espoir aux Guinéens.

Une des leçons que nous pouvons tirer de cela est que l'espoir est toujours permis. Il ne faut jamais tirer de conclusions définitives sur la marche d'une société. Toutefois, puisque nous manquons de perspective historique sur la longue durée, nous avons souvent tendance à condamner les sociétés africaines à l'inertie et au sous-développement éternel. Néanmoins, ceux qui observent ces sociétés avec plus de recul et de rigueur peuvent y déceler des dynamiques de changements positifs irréversibles.

Une autre leçon que nous pouvons tirer est qu'il y a des lueurs d'espoir que la Guinée peut bien se relever et retrouver la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre en Afrique, celle d'un pays phare qui montre la voie aux autres États africains. Faudrait-il rappeler que c'est par un vote massif que les Guinéens ont obtenu leur indépendance en 1958 pendant que toutes les autres colonies françaises au sud du Sahara acceptaient de continuer avec le pacte colonial. Malheureusement, les aléas de l'Histoire ont fait que c'est un démagogue paranoïaque, Ahmed Sékou Touré, qui se retrouva à la tête du nouvel État indépendant et qui transforma ce qui aurait pu être un bel exemple de démocratie et de réussite économique en un régime despotique et totalitaire qui plongea le pays dans un sommeil profond pendant plus d'un quart de siècle. À sa mort, c'est un colonel semi-analphabète qui se retrouva au pouvoir et s'autoproclama Général. Bien que la terreur diminua et les citoyens recouvrèrent la liberté de mouvement et quelques libertés politiques sous son règne, son régime n'en demeura pas moins dictatorial. Un autre rendez-vous manqué. Mais la lueur d'espoir ne s'éteignit pas définitivement. Ainsi, bien qu'il ait réduit les partis d'opposition au silence, vers la fin de son règne, le Général Conté a fait face à d'énormes pressions de la part des syndicats et de la jeunesse désœuvrée de Conakry qui n'en pouvaient plus de supporter passivement le sort réservé au pays et à ses citoyens pendant plus de 50 ans.

Toutefois, à la mort du Général Conté, le jeune capitaine qui s'empara du pouvoir avec l'approbation de tous les Guinéens, y compris les chefs des partis politiques d'opposition, se révéla être un autre dangereux manipulateur qui était loin de ressembler à un Thomas Sankara ou à un Amadou Toumani Touré. Au contraire, Moussa Dadis Camara, se pensant plus malin que tout le monde creusa sa propre tombe en envisageant de confisquer durablement le pouvoir. Les partis d'opposition, jadis trop passifs, mais cette fois associés aux syndicats et autres Organisations de la Société Civile, prirent leur courage à deux mains et affrontèrent le diable le 28 Septembre 2010. La conséquence directe de la confrontation fut le massacre de plus de 150 manifestants, mais le résultat aura été la tenue le 27 Juin 2010 des premières élections démocratiques en 52 ans d'indépendance. Sans cette manifestation et le carnage perpétré par la junte, la Communauté internationale n'aurait pas exercée les pressions qui ont forcé l'armée guinéenne à rendre le pouvoir aux civiles.

Il faut donc se féliciter de la tenue de ce scrutin et espérer que la neutralité proclamée du chef intérimaire de la junte militaire au pouvoir, le Général Sékouba Konaté, sera de rigueur à tous les niveaux et que le résultat du vote sera l'expression de la volonté populaire.

En outre, quel que soit le vainqueur de ce scrutin, il aura une énorme dette morale vis à vis des victimes de la tragédie du 28 Septembre 2009, mais également vis à vis de toutes les victimes innocentes tuées dans ce pays au cours des 52 dernières années post-indépendance, sans oublier celles qui sont mortes aux cours des affrontements politiques durant la période pré-indépendance. La première tâche du nouveau Président sera donc de réconcilier les Guinéens. Pour ce faire, il y a un travail préalable: il s'agit de dire la vérité historique, de reconnaître les crimes commis au nom de l'État guinéen et d'en identifier les auteurs. Un premier jalon a déjà été posé récemment par le Général Konaté qui a demandé pardon au nom de ses prédécesseurs. Il faut saluer sa volonté et son courage. Mais, il ne faudrait pas mettre la charrue avant les bœufs. Il est évident qu'il y a des gens qui voudraient bien que le pays fasse l'impasse sur les responsabilités individuelles en ce qui concerne les crimes du passé. Toutefois, aucune réconciliation sincère ne peut avoir lieu sans une reconnaissance des crimes et une distinction claire et nette entre victimes et bourreaux. Certains aiment dire que tout le monde a été victime du régime de Sékou Touré et du Parti Démocratique de Guinée (PDG). Ils ont peut être raison. Mais ce n'est qu'une partie de la vérité. L'autre partie, c'est qu'il y avait des bourreaux. Il faudrait donc les identifier clairement, pour que la réconciliation puisse être sincère. Sans Vérité, pas de Justice. Sans Justice pas de Réconciliation véritable, sans Réconciliation, pas de possibilité de rassembler tous les Guinéens pour bâtir ce pays. Il faudrait donc tenir compte de ce préalable. Alpha Oumar Telli DIALLO, l'un des fils d'une des victimes les plus illustres de la terreur du régime guinéen sous Sékou Touré a fait des propositions très pertinentes sur la question. Le futur Président devrait y prêter attention, et s'en inspirer, à défaut de les reprendre comme telles, s’il désire engager ce processus de réconciliation en Guinée.

L'espoir est donc permis, une fois de plus. La Guinée est sur la voie de retrouver le chemin qu'elle n'aurait jamais dû abandonner. Toutefois, un autre défi pour le futur Président sera de remettre de l'ordre dans l'administration, en fait de bâtir une administration digne de ce nom, pour que la bonne gouvernance ne sonne pas comme un vague slogan dans le pays. Il faudra restaurer les valeurs d'honnêteté, d'intégrité, de justice et d'équité au cœur du code d'éthique et de déontologie des fonctionnaires. Si ce code n'existe pas, il faudra l'élaborer. La discipline devra être restaurée aussi bien chez les civils que chez les hommes en uniformes, qu'ils soient policiers, gendarmes, douaniers ou militaires. Il ne faudrait plus que "les forces de l'ordre" constituent des menaces pour la sécurité des populations. Il y a du travail à faire au niveau de la culture qui prévaut aujourd'hui au sein des forces de défense et de sécurité. Il convient également de mettre un terme au culte de l'impunité en renforçant les institutions judiciaires pour qu'elles soient plus fonctionnelles et plus crédibles.

Bref, il faudra mettre en place ce que les britanniques appellent "the rule of law" et que nous traduisons en français par le concept d'État de Droit. Si le Président élu parvient à relever les défis mentionnés ci-haut au cours des 5 prochaines années, il aura rendu un grand service au pays, car il aura jeté les bases du décollage économique de la Guinée. Il est facile de construire des infrastructures, si les ressources financières sont disponibles, mais pour changer durablement un pays, il convient d'abord de concentrer les énergies sur la mise en place d’institutions solides qui vont garantir que la démocratie ne sera pas simplement une démocratie procédurale, avec des élections présidentielles et législatives tous les 5 ans. Un véritable État de droit, une démocratie vigoureuse a besoin d'un pouvoir légitime certes, mais aussi et surtout d'une séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. En outre, il ne faut pas tomber dans le piège d'un Gouvernement d'union nationale dont le seul bût sera d'assurer un partage équitable du gâteau entre la centaine de partis politiques existant dans le pays. Une démocratie vigoureuse a également besoin d'une opposition forte et crédible qui va jouer le rôle de critique et d'une Presse réellement professionnelle et indépendante. Enfin, l'espoir est également permis parce que la Guinée peut tirer les leçons apprises dans les autres pays africains. Il suffit d'être sage pour éviter de faire les mêmes erreurs qui ont été commises ailleurs. Que le meilleur gagne ! Vive la Démocratie !

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